L’empreinte des domaines historiques sur l’identité viticole du Roussillon

L’histoire viticole du Roussillon plonge ses racines dans l’Antiquité. Dès le VIe siècle avant J.-C., les Phéniciens et les Grecs introduisent la vigne sur les rives de la Méditerranée. Mais c’est surtout à l’époque romaine que le vignoble prend son essor. Les Romains, friands de vins, développent des pratiques de viticulture avancées, implantant des vignes sur des sols rocailleux et drainants, idéaux pour la culture de la vigne.

Les vestiges de cette période sont encore tangibles dans certaines parties de la région, notamment autour de Baixas ou Rivesaltes. Ici, des découvertes archéologiques, comme des amphores à vin, attestent de la grande activité viticole de l’époque. Bien que les domaines tels que nous les connaissons aujourd’hui n’existaient pas encore, cette période a marqué le point de départ de l’empreinte viticole historique du Roussillon.

Au Moyen Âge, l’expansion de la viticulture roussillonnaise s’est liée à une autre figure incontournable de l’histoire viticole : les abbayes et monastères. Les ordres religieux, notamment les Bénédictins et les Franciscains, ont eu un rôle central dans l’entretien des vignes et la production de vin.

L’abbaye de Saint-Martin du Canigou ou encore celle de Saint-Michel de Cuxa ont joué un rôle clé dans la transmission des savoir-faire viticoles. Utilisant l’élevage en amphore et diversifiant les cépages, les moines sélectionnaient des plantes robustes adaptées au climat semi-aride du Roussillon. Le vin produit était destiné tant aux offices qu’au commerce. C’est à cette époque que se consolide l’association entre le vin roussillonnais et les saveurs riches et complexes.

Anecdote savoureuse : saviez-vous que certains murets en pierre sèche que vous croisez en vous baladant dans les vignobles pourraient dater de cette époque ? Ces murs sont des témoignages vivants de la présence des moines, qui structuraient déjà les terroirs avec ingénierie et respect.

C’est à partir du XVIIIe siècle que le Roussillon commence à se doter de véritables « grands domaines » structurés, tels qu’on les connaît aujourd’hui. Avec un commerce du vin en plein essor, notamment vers Barcelone et d’autres ports méditerranéens, les familles locales investissent dans les vignes pour prospérer.

Des domaines comme le Château de Corneilla ont vu le jour à cette époque, établissant des pratiques comme l’élevage en barrique ou encore le vieillissement oxydatif, inspirations directes des méthodes catalanes et andalouses. Les vins doux naturels, ces nectars identitaires du Roussillon, trouvent leurs lettres de noblesse dans cette période faste. Le Rivesaltes et le Banyuls, alliés parfaits des desserts comme d’un foie gras, entrent dans le patrimoine régional et national.

• Château de Corneilla : Un domaine historique qui témoigne encore aujourd’hui du raffinement atteint par le Roussillon dès cette époque.
• Domaine de Rombeau : À Rivesaltes, un lieu marqué par un savoir-faire ancestral et une continuité viticole impressionnante depuis le XVIIIe siècle.

Le savoir-faire se transmet parfois au sein de familles depuis plusieurs générations. C’est cette continuité, ce lien tissé entre le passé et le présent, qui confère une saveur si particulière aux nectars du Roussillon.

Le XIXe siècle n’a pas été de tout repos pour la viticulture française, et le Roussillon n’échappe pas à la crise du phylloxéra. Ce minuscule puceron, qui détruit les racines de la vigne, met en péril des siècles de travail. Mais la résilience des vignobles roussillonnais s’exprime par l’innovation : le greffage sur des porte-greffes américains permet de sauver le vignoble.

C’est également à cette époque que certains des domaines les plus célèbres consolidés au siècle précédent se réinventent. Qui n’a jamais entendu parler des vins de Collioure ou de Banyuls, véritables ambassadeurs du raffinement roussillonnais ? Ces appellations deviennent, au XXe siècle, des figures de proue des terroirs locaux.

• Domaine de Rectorie : Situé à Banyuls-sur-Mer, héritier d’un savoir-faire exceptionnel, il incarne la résistance des vignobles face aux épreuves du temps.
• Mas Amiel : Fondé en 1816, ce domaine symbolise l’art du vin doux naturel dans toute sa splendeur, avec une histoire mêlant tradition et modernité.

Dans ce contexte, le XXe siècle marque aussi une prise de conscience collective autour de la préservation des paysages et des traditions. Après des années de modernisation parfois excessives, les domaines reviennent à des approches plus authentiques, avec un respect accru du terroir.

L’identité viticole du Roussillon, façonnée par des siècles d’histoire, doit beaucoup à ces domaines qui ont su préserver et sublimer le terroir. Aujourd’hui, ces vignobles historiques cohabitent avec des jeunes domaines engagés dans des pratiques durables et innovantes. La viticulture bio, le respect des cépages oubliés, ou encore l’élaboration de vins nature vibrent désormais au cœur de la région.

Ce qui marque, lorsqu’on traverse des domaines comme le Mas Amiel, qu’on déguste un vin de la Rectorie ou qu’on partage un verre au Château de L’Ou, c’est cette sensation d’être connecté à des siècles d’histoire. Une histoire que chaque gorgée de vin raconte à sa manière, mêlant mémoire et audace, enracinement et liberté.

Alors, si vous passez par le Roussillon, arrêtez-vous, discutez avec les vignerons qui continuent à écrire cette histoire. Et surtout, prenez le temps de goûter. Car c’est là, dans les arômes des vins, que s’exprime tout le caractère de cette région, joyau du sud du Sud.